Formation |  Stage |  Métiers |  Ressources |  Travaux |  Contacts | 

lundi 17 novembre 2010, par Audrey Bardon

« Quel régime politique est le plus stable pendant la guerre, afin d’éviter l´anarchie ? » « Un régime autoritaire comme le despotisme est préférable, mais fera baisser la recherche scientifique ». Un échange entre deux chercheurs en sciences politiques ? Non : une simple discussion entre deux collégiens. Une situation plus fréquente qu’il y a quelques années. Sont-ils plus précoces ? Rien n’est moins sûr. Le jeu vidéo de gestion est simplement entré dans leur vie. Des jeux comme SimCity, Civilization ou les nouveaux serious games ont permis au public d’accéder à la connaissance des enjeux géopolitiques et économiques.

Les sciences politiques, historiques et économiques sont souvent les laissés-pour-compte de la médiation scientifique. Difficile, en effet, de susciter l’intérêt lorsque l’on parle de chiffres et de dates. Un vecteur de diffusion de ce type d’information s’est pourtant révélé particulièrement efficace : les jeux vidéo de gestion. Longtemps considérée comme un simple objet de divertissement, cette technologie est enfin vue sous un autre regard. « La force du jeu, c’est de mettre en situation », explique Olivier Mauco, chercheur en sciences politiques à Paris 1. Le joueur est actif, il réfléchit, expérimente, prend conscience de l’impact de ses actes. Par ce type de jeu, on acquiert des fonctions auxquelles on ne peut prétendre dans le monde réel : les enfants gèrent un budget comme les grands, les adultes se retrouvent à la tête d’un royaume… Une simple question de stratégie posée sur un forum, et voici lancé un véritable débat enflammé de sciences économiques ou politiques.

Alors, pour contenter ces joueurs exigeants, on développe des jeux de plus en plus complexes : le jeu SimCity dans lequel le joueur construit et gère une ville, touchent maintenant à la fois à la politique, l’économie, la géographie ou encore l’environnement. On en vient donc à se demander si ces jeux de gestion et de stratégie comme les célèbres SimCity ou Civilization enseignent aux joueurs quelques notions de sciences humaines et sociales. Dans le jeu Civilization de Sid Meyer, le joueur doit construire les villes aux endroits stratégiques, gérer les dépenses et les ressources, développer les meilleures technologies, forger des alliances, choisir le régime politique et la religion à adopter, etc. De nombreux pédagogues s’accordent à dire que ce type de jeux permet d’acquérir une certaine culture générale et développe un esprit stratégique [1]. Pour gagner, il faut faire les bons choix, ce qui demande de comprendre les termes employés : conscription, despotisme, théocratie… des termes barbares pour les néophytes, mais qui s’avèrent cruciaux pour le déroulement du jeu. L’enjeu et l’expérimentation attisent la curiosité, et poussent à se documenter.

Surfant sur le succès des jeux vidéo, les serious games sont apparus. Développés dans un but utilitaire, ces jeux politiques, économiques ou encore sociaux ont pour objectif de transmettre un message, de sensibiliser ou d’éduquer, en détournant les codes des jeux vidéo classiques. Beaucoup jouent sur la difficulté du jeu pour faire prendre conscience de la complexité des enjeux économiques et politiques réels. Peacemaker (studio ImpactGames), jeu ayant pour contexte le conflit israélo-palestinien, reste un exemple du genre.

JPEG - 53.4 ko
Le jeu Peacemaker
Courtesy of Impact Games LLC.

Incarnant au choix le Premier ministre israélien ou le Président de l’Autorité palestinienne, le joueur a pour mission d’apporter la paix dans la région. Il doit affronter des situations critiques, prendre des décisions et tenir compte de l’approbation de la population et de la communauté internationale. Le journaliste Marc MacKinnon, du journal The Globe and Mail, affirme que Peacemaker parvient à « faire ressentir au joueur l’impossibilité de la tâche de Mahmoud Abbas et Ehud Olmert » [2]. Le joueur se retrouve propulsé au cœur d’un conflit mondial et peut ainsi en appréhender les divers enjeux.

Autre registre, mais même intention : le jeu Clim’Way [3] (anciennement Clim’City) a pour vocation de faire prendre conscience des difficultés de la gestion environnementale. Développé par le centre de culture scientifique Cap Sciences de Bordeaux, il a demandé deux ans de travail, dont six mois de recherche documentaire. Résultat : un jeu soigné où chaque donnée économique ou environnementale est fidèle à la réalité. Propulsé maire d’une ville, vous avez pour objectif de diminuer de 70 % les émissions de gaz à effet de serre, de 40 % la dépense en énergie et d’atteindre 60 % de production d’énergies renouvelables. Et tout cela en seulement 50 ans ! La mission se révèle très vite impossible à réaliser : « Il est très difficile de gagner, ça fait partie de la prise de conscience », explique Éric Gorman, concepteur du jeu [4]. Alors pourquoi s’acharner lorsque l’on sait que la seule issue est l’échec ? Parce que l’on est immédiatement immergé dans le jeu et que l’on veut en savoir plus sur les conséquences de chacune des actions proposées. Alors on teste, on apprend et on joue. La simulation dans ce cas, joue son rôle ludique à merveille. Clim’Way a attiré 160 000 visiteurs en seulement trois mois de mise en ligne.

Mais pour l’instant, les jeux vidéo ne possèdent pas un contenu culturel aussi riche que les livres ou les films. Les aspects ludique et graphique, indispensables pour la viabilité commerciale du jeu, restent privilégiés. Le jeu doit être stimulant sans être trop complexe, intéressant sans devenir pompeux. Et il ne faut pas se leurrer, si le joueur acquiert des connaissances, la plupart sont de l’ordre des techniques stratégiques. Le jeune utilisateur, devant son PC, s’interrogera-t-il vraiment sur les conséquences humaines d’un régime totalitaire ? Non, car contrairement aux autres types de support, la finalité principale d’un jeu n’est pas d’apprendre mais de gagner. Plus embêtant, ces jeux sont souvent idéologiquement très marqués, comme le souligne Laurent Tremel, docteur en sociologie. Choisir le communisme comme régime gouvernemental dans Civilization : quelle erreur ! Ce régime médiocre fera baisser vos statistiques. Aller à la rencontre de peuples indigènes : ils intégreront votre civilisation avec joie…. Tout ne peut pas être pris pour argent comptant, les messages diffusés étant loin d’être neutres. A fortiori avec les serious games, il est a craindre de voir apparaître des jeux de simulation politique faisant la promotion d’un candidat à la présidence, ou un jeu de gestion économique faisant l’apologie des méthodes drastiques de certaines entreprises…

[1] Les « jeux vidéo » : un ensemble à déconstruire, des pratiques à analyser, L. Tremel, 2001

[2] Propos tenus dans l’article Gamers unite ! Your goal ? Peace in the Middle East, datant de mars 2007. http://www.theglobeandmail.com/news/technology/article746230.ece

[3] Disponible gratuitement sur http://climcity.cap-sciences.net/

[4] Article du journal Le Monde, Clim’City, une ville durable au bout de la souris de Grégoire Allix, février 2009

Les jeux vidéo comme SimCity, Civilization ou les nouveaux serious games sont-ils un bon vecteur de diffusion d’information pour les sciences humaines et sociales ?


NetVibes / Master-cs
Site ULP